Lorsque vos mains se referment sur une déchirure et que les anémones s’inclinent, pousse d’hiver en recherche de chaleur, suis-je feu de brousse dans le glissement des ombres ? Débris flammés enveloppés de bure, braise pour un nid cendré, onde mendiante venue des contrées lointaines, je ne sais plus.
Lorsque, indifférente à mon désarroi, la lune bâille tenaillée par le vent et que les étoiles tremblent contre la galaxie des rêves en ébauche, suis-je frileuse dans les rets de l’enfer ?
Harmoniques sans partition, lèvres en gémir à la douane des chimères, je ne sais plus.
Lorsque les mots s’effilochent aux berges du vertige et qu’une plume, valse lente, calligraphie un ciel déchiré de regrets, je suis un oiseau sans ailes au bord d’une source de silence.
Claude Luezior a rédigé ce recueil à l’âge où la vie semble un jeu, une énigme, une farandole joyeuse comme celles que savait si bien conduire François à Assise, avec la complicité de ses amis, les «tripudianti».
Est-ce un ange qui a tenu la plume de l’auteur voilà quelque cinquante ans ?
Quelle force a-t-elle poussé cet adolescent rieur de 17 ans à un engagement d’une telle densité, qui troue les ronces Entre désespérance et espérance pour n’offrir que L’encre / Des prophéties ?
Déjà son regard intérieur est oasis sans nuit froide, il est conscient de la dualité du vivre : Nuit d’aveugle. Nous le sommes toujours, devant ceux que nous crucifions ; Nous avions laissé tant d’enfants sur le bord du chemin. Si jeune, il a assimilé la croyance en l’Amour Là-haut / Les paumes / Ouvertes / Du crucifié. La réalité de l’Attente : Nous étions aux abois, un credo sur les lèvres. La force du pardon : À nouveau / Respiraient / Nos mains/ Le moût / des êtres / Bouillonnait.
L’auteur sait que la délivrance est enfouie dans le gémir de l’extrême, Il était là, quelque part / En ineffable présence. Il se rend compte, tout comme Max Jacob, que la mort est céleste pour la première fois.
Luezior ayant compris la difficulté et le mystère de la Rencontre, Nos bouches tremblèrent / Entre blasphèmes et espérance, égrène ici son premier chapelet, le seul où il met ses pas dans la montée du Golgotha, versets dépouillés d’une très longue succession de textes qui, au fil des années, deviennent, dans d'autres livres, rosaire poétique dans des registres variés, sensualité, humour, attente : toujours les mots se transmuent en eau vive.
Pourtant il est à remarquer que, dans les derniers recueils de l’auteur et particulièrement dans Jusqu’à la cendre (2018) l'on retrouve des échos, l’empreinte de l’atmosphère de Golgotha, par exemple : C’est ici que suintent en désespoir balafres, cicatrices et doutes, c’est ici que dansent les blessures d’un artiste au pied de la croix, ou encore : Lorsque se condense au fond de nos entrailles l’infinie parole d’une prière. Le feu mémorise toujours ses braises.
Dans Golgotha, avec fougue, recueillement, passion, Luezior nous fait vibrer un credo sur les lèvres.
C’est un livre d’heures à lire, mains jointes, comme aux premiers temps Au seuil / D’un précipice / Devant le tronc / Exfolié de paroles / Des mains / Se joignent.
C’est un hymne avec Des mains de vierges / Et de femmes / Mains gothiques / Hautes comme des cathédrales / Mains des siècles /À venir.
C’est un chant de silence. On était à la onzième heure / Celle où s’arrêta l’éternité. C’est l’écho de Verhaeren dans Humanité : les soirs crucifiés sur les Golgothas noirs, portons-y nos douleurs et nos cris et nos plaies.
Luezior déchire l’absence, il ouvre d’étranges portes sur le seuil de la foi. Sous la trace du cri, dans la souffrance, apparaît un visage : La douceur de la Femme / À l’enfant / Le miracle de la flamme / La flaque de lumière / Un miracle de mère.
Avec des phrases réduites à l’extrême minimum, ce qui décuple leur intensité, ce recueil est une prière ardente qui s’incruste dans l’âme du lecteur. Luezior, un des plus hauts poètes contemporains, lauréat de l’Académie française, a écrit là un livre d’une force exceptionnelle, passant de la douleur à l’espoir, du sacrifice au renouveau : Nos âmes avaient fait peau neuve. La force de l’image dans sa brièveté est exceptionnelle, sa force en est décuplée.
Ce recueil est un livre d’amour, d’espoir : Le Golgotha n’était plus souffrance. Il était résurrection. On peut penser que l’auteur est un moine-poète sans bure, en ce sens où il écrit dans le silence et la solitude de son bureau qui est, au fond, son oratoire. L’adolescent a su faire face à la puissance de l’inexplicable. Tout comme Rilke, il a très tôt compris que le futur doit vivre en toi, bien avant qu’il ne survienne. Tu n’as qu’à attendre la naissance, l’aube d’une nouvelle clarté. C’est tout le cheminement de Golgotha.
Il est à souligner que les illustrations de Golgotha, mines de plomb et encres sont de l’auteur : elles ont aussi été réalisées au même âge que les textes. En les observant on pense aux encres de Cocteau.
Superbe recueil qui par la magie de l’image, de la poésie, permet d’accéder à une lumière véritable.
Mirage, mirage dans le sang des mots, dans les rumeurs poussiéreuses des racines, sur des sentes à enluminer.
Faire l’amour comme des éclairs dans l’orage, comme les feuilles sous le vent, comme deux esquifs en perdition sous le regard de Méduse, comme des fantômes dans le lit du torrent, comme des feux de brousse, comme l’encens qui étouffe le jasmin, comme les cernes bleus autour d’une imploration.
Mirages, mirages, les rêves en échos s’enfuient, les énigmes s’enroulent dans l’insolence du vent, dans des traces sans passé.
À s’en rendre fou à s’en rendre sage, ouvrir l’espace du vivre pour une petite mort.
Sur la table de l’orfèvre
un liseron jaune joue autour d’un tambour oublié
il regarde les poissons articulés
qui attrapent des pêcheurs dans des filets percés.
Sous la table, deux enfants égratignent une rose
et font saigner les épines.
Par la fenêtre fermée se faufile
une odeur de paysage détrempé et de lis fanés.
J’écoute dans le vent
la montée des pénitents blancs
ils agitent leurs crécelles
en grimpant jusqu’au toit des chimères
celui qui corne les songes.
Lorsque les anges feuillètent la nuit
la neige sème des minutes et casse les heures
silencieux, Amour se balance et cherche un visage
dans un ruisseau asséché.
Sur la table de l’orfèvre
le liseron jaune s’est refermé
Amour s’est noyé.
Amoureux de l'écriture, poésie, romans, théâtre, articles politiques et de réflexions... Amoureux encore de la beauté de tant de femmes, malgré l'âge qui avance, la santé qui décline, leurs sourires ensoleillent mes jours...